Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
31 août 2012 5 31 /08 /août /2012 22:19

Daniel Pennac, le romancier-pédagogue

 

Placée sous le double signe de la passivité et de la boulimie, la société contemporaine constitue un terrain défavorable pour l’épanouissement et le développement de l’arbre pédagogique. L’une des causes de la crise actuelle de l’enseignement réside justement dans l’inadéquation flagrante entre les enjeux socio-économiques prônés par un système capitaliste foncièrement « pulsionnel » (Bernard Stiegler) et les enjeux pédagogiques dont notamment le développement de l’esprit critique chez l’apprenant. La société contemporaine mobilise en effet tous ses appareils idéologiques entre autres l’appareil publicitaire[1]pour transformer progressivement l’homo sapiens, l’homme raisonnable sur lequel misent les pédagogues, en homo consumens, c’est-à-dire en consommateur docile et inoffensif. L’école, avant d’être le lieu d’apprentissage, est l’arène où se déroule journellement cette confrontation entre l’Idéologie et la Pédagogie ; consommateur passif, l’élève est appelé en classe à jouer le rôle de l’apprenant actif. La pédagogie Nouvelle se veut d’ailleurs une pédagogie essentiellement active. Consommateur non productif, il est appelé en classe à produire des essais, c’est-à-dire des textes qui font appel à l’esprit critique et qui exigent un certain sens de l’analyse et de la rigueur. Mais que peut-on attendre de l’élève en matière de « production écrite » si son esprit est déjà programmé à ne rien produire et en revanche à tout recevoir ? « Je préfère recevoir des messages plutôt que de les envoyer » dit un élève à son institutrice qui essaie d’appliquer la fameuse pédagogie du « projet » pour faire découvrir aux apprenants les normes compositionnelles de la correspondance.

Les « barbares », ces rejetons d’une nouvelle barbarie à visage inhumain, représentent aujourd’hui, comme l’affirme Philippe Meirieu, le nouveau public scolaire. Mais comment l’enseignant va-t-il procéder pour établir avec eux une véritable communication ? Quel type de pédagogie doit-il choisir et appliquer en classe pour éveiller en eux leur part d’humanité ? La pédagogie par compétences ? La pédagogie du projet ? La pédagogie différenciée ou la pédagogie du chef d’œuvre ? Quels concepts au juste doit-on reconsidérer dans le processus éducatif ?

C’est en nous référant aux romans et aux essais de Daniel Pennac que nous tenterons, dans cet article, de répondre à ces interrogations. Nous mettrons l’accent, lors de notre analyse, d’une part sur le traitement romanesque et essayistique que Daniel Pennac a réservé à la problématique pédagogique et d’autre part,  sur les enseignements que nous pouvons tirer de la conception pennacienne de la pédagogie et de l’école en général.

     I- Pennac, le porte-parole des cancres :

Si Daniel Pennac aime beaucoup les enfants et plus particulièrement les cancres et les redoublants, c’est parce qu’il était lui-même un très mauvais élève : « la légende familiale, dit-il dans l’une de ses interviews confiées à Magazine littéraire, prétend qu’à la première année de ma scolarité, j’ai appris la lettre a. Mon père plaisantait : dans 26 ans, il possèdera parfaitement son alphabet ! Cette boutade était vécue dans la réalité de l’apprentissage scolaire.  J’étais un très mauvais élève »[2].

C’est essentiellement grâce à la lecture que le petit cancre allait progressivement améliorer son niveau et tomber amoureux, en pleine adolescence, de la Littérature. Dansl’Internat ou pendant les heures creuses, le jeune Pennachionni lisait en effet non pas les œuvres choisies ou plutôt imposées par l’Institution scolaire mais celles qu’il choisissait, découvrait et aimait lui-même. Les textes de Tolstoï, Dostoïevski, Lermontov, Thomas Hardy et Shakespeare représentaient pour le jeune élève non seulement un excellent pâturage romanesque qui lui permettait d’échapper à l’ambiance frustrante de l’école ou de l’internat, mais aussi un moyen par lequel il exprimait son refus de toute forme de despotisme pédagogique. A l’instar du cancre de Prévert qui « dit oui à tout ce qu’il aime mais [qui] dit non au professeur », Pennac se voulait libre et indépendant : « A l’origine des origines, avoue-t-il, je suis arrivé à l’écriture par la lecture. Je suis d’une génération où on nous empêchait de lire. Si, à l’étude, j’étais surpris avec un roman au lieu de faire mes devoirs, le pion me le piquait »[3].

A la fois donc source de plaisir et acte de résistance, la lecture constitue le premier facteur qui a sauvé le petit Daniel de sa cancrerie.

Le second facteur est d’ordre humain. En effet, en troisième, son professeur de français lui  avait demandé de rédiger non pas une dissertation mais un roman. Enfin quelqu’un pour qui la cancrerie n’est pas un destin !!

 En réalité, ce n’est pas la décision du  professeur en elle-même qui a insufflé dans l’âme du jeune Pennac un nouvel élan mais plutôt la confiance et l’espoir que cet enseignant avait plantés dans l’âme et l’esprit de son élève.

Notons par ailleurs que l’entourage familial a joué un rôle déterminant dans la formation morale et littéraire de Daniel Pennac ; son père, le général Pennacchioni a été en effet posté avec sa famille dans plusieurs colonies françaises (Maroc, Djibouti, Ethiopie, Indochine). Ces voyages en Afrique et en Asie ont cultivé prématurément chez Pennac l’esprit d’ouverture et de tolérance. D’ailleurs, à l’âge de vingt-cinq ans, il écrit un essai sur le service militaire intitulé Le service militaire au service de qui ? dans lequel il associe la caserne à « un lieu tribal avec des rituels de passage »[4].

Devenu enseignant, Pennac placera la question de l’enseignement au centre de ses préoccupations littéraires et professionnelles. L’expérience de la cancrerie qu’il avait vécue pendant son enfance l’aidera beaucoup dans sa tentative d’améliorer le niveau des élèves en difficulté scolaire : 

 

J’enseignais à des enfants réduits par l’ignorance à chercher des compensations dans des contacts immédiats - les coups, le vol -, les réconcilier avec la lecture, la métaphore, le récit. Les amener à retrouver la solitude et l’effort nécessaire pour n’être pas une brute privée de sens. Je suis payé pour savoir que les brutes privées de sens ont plus de chances, à vingt ans, de se trouver devant un jury d’assises que devant un jury de baccalauréat[5].

 

Pennac sait que tout commence par la lecture, c’est pourquoi il considère que la première mission de l’éducateur est d’éveiller l’enfant endormi dans chaque élève, l’enfant qui conçoit le monde comme un roman et la vie comme un récit.

Ce principe pédagogique représente aussi pour Pennac l’un des principaux enjeux narratifs. Conscient en effet que derrière tout lecteur il y a un enfant qui réclame sa « dose » de fiction, l’auteur adoptera dans tous ses textes une stratégie scripturale qui mise sur la part enfantine chez le lecteur :

Pour écrire un roman, explique Pennac lui-même, il faut d’abord payer très  sérieusement son écot à l’anecdote, c’est-à-dire à la part d’enfance, irréductible, du lecteur. Je structure d’abord l’histoire de façon artificielle. Cela ne me vient pas artificiellement, mais je crois très fortement à la nécessité de cette convention, vecteur d’énergie pour le lecteur. Une fois la question de l’anecdote réglée, le seul intérêt du roman pour moi, c’est l’écriture[6]. 

 

Ce choix scriptural est métatextualisé dans tous les romans constitutifs de la série des Malaussène. En effet, pour amuser et éduquer ses frères et ses sœurs, Benjamin Malaussène ne trouve toujours d’autre moyen que de leur raconter des historiettes policières. Peu à peu, les enfants deviennent carrément dépendants de la narration. Chaque soir, ils réclament la suite de l’histoire racontée. Ils veulent une dose de fiction qui apaise leur soif herméneutique et qui endort en eux le démon de la curiosité. Ecouter des récits devient ainsi « une dope dont les pires vacheries de la vie ne peuvent nous guérir »[7]. Parlant de son frère Jérémy, Malaussène affirme : « L’idée que la mort de Saint-Hiver puisse le priver de sa tranche de mythe un soir de plus [l’] a flanqué (...) dans un état de manque proche de la syncope. »[8]

En fait, si l’on jette un coup d’œil sur les titres des romans que Pennac avait écrits (Kamo, L’agence Babel, Kamo et moi, L’Oeil du loup, Le grand Rex, Cabot-Caboche, Au bonheur des ogres, La Fée carabine, La petite marchande de prose, Aux fruits de la passion, Monsieur Malaussène, Monsieur Malaussène au théâtre, Messieurs les enfants, Le dictateur et le hamac), on remarque qu’ils sont presque tous ancrés dans l’univers de l’enfance. A l’instar de Nietzsche et Dostoïevski, Pennac considère que les enfants sont des êtres exceptionnels qui ont beaucoup de choses à nous apprendre ; candides par nature, leur vision du monde est nécessairement plus pure et plus authentique, par conséquent plus proche de la vérité, que la notre : « Ce qui complique tout, dit admirablement Pennac dans Monsieur Malaussène, c’est que la plupart des enfants font les enfants, et que presque tous les  adultes  jouent  aux  adultes. »[9]

Aux yeux de l’auteur, nous portons donc tous des masques. Nous jouons tous une mauvaise comédie ou plutôt une mauvaise tragédie dans laquelle les enfants sont les victimes de notre égoïsme et de notre incompréhension.

Même dans ses deux essais sur la lecture et l’école en général (Comme un roman et Chagrin d’école) Pennac s’adresse à son lecteur dans un style romanesque proche de celui des contes de fées. Le titre Comme un roman indique clairement que le contenu du livre ne relève ni tout à fait de l’essai, ni tout à fait du roman. C’est un texte hybride qui mêle les deux genres. Chagrin d’école est également un texte hybride, c’est un « un essai narratif : un mixte entre le roman et l’essai. »[10]

Même s’il s’agit donc d’un discours argumentatif, Pennac veut toujours s’adresser à l’enfant endormi en nous.

Cette narrativisation du genre essayistique, lequel repose comme on le sait sur l’argumentation et le raisonnement logique, s’explique aussi par le fait que pour Daniel Pennac, un texte sec n’ayant d’autre objectif que la confirmation ou l’infirmation d’un point de vue finit toujours par lasser le récepteur, lequel est déjà submergé par les thèses et les slogans médiatiques. Dans une interview publiée dans Lire, l’inventeur de Malaussène explique que l’avantage qu’a le roman sur l’essai est qu’il transporte progressivement le lecteur vers ce que Blanchot appelle « le monde indéterminé de la fascination ». L’essai, lui, est un genre sclérosé (« ingrat »[11] pour Cioran) qui empêche le lecteur, de se libérer du monde visible :

 

Le roman a une force formidable par rapport à l’essai. Dans un essai, même si c’est vrai, c’est faux ; dans un roman, même si c’est faux, c’est vrai. L’essai donne un état du réel structuré par un raisonnement tandis que le roman est mouvant, il rend ce que la vie a de contradictoire, d’incohérent, de changeant. Il rend aussi le silence : ce qui se dit lorsqu'il ne se dit rien, et là-dedans chacun voyage.[12]

 

Le lecteur de l’essai demeure donc toujours extérieur au texte qu’il lit. Si l’on se réfère ici à la distinction établie par Michel Picard entre le « liseur », le « lu » et le « lectant », nous dirons que le lecteur de l’essai garde toujours le statut de liseur, c’est-à-dire d’un récepteur qui a « les pieds sur terre »[13]. Le lecteur du roman, au contraire, peut-être à la fois « liseur », « lu » et « lectant ». Le lu est, selon Picard, le « Moi » qui s’abandonne au plaisir de la lecture[14]. Le lectant, lui, est l’entité qui se place du côté des rapports entre liseur et lu[15].

Un roman qui ne permet pas au lecteur de rêver, de voyager dans un Ailleurs fantastique et fascinant, peut être considéré à priori comme raté. Expliquant sa conception du personnage romanesque, Pennac affirme :

Je n’aime pas lire des romans qui sont des essais camouflés. Qu’est-ce qu’un personnage ? A l’origine, c’est une idée, un comportement qui en se condensant devient de la vie. Si vous ne retrouvez pas l’idée, si vous n’avez plus que l’intuition de cette idée quand vous fréquentez le personnage, c’est que le roman est réussi. Si le personnage est réductible à l’idée qu’il incarne, c’est que le roman est raté, l’auteur aura trop privilégié le sens par rapport à la vie qui, elle, n’en a pas.[16]

 

« Faire rêver le récepteur » ; tel est en définitive le slogan de Pennac. S’il insiste dans tous ses écrits sur le côté romanesque, s’il adopte même en classe une stratégie narrative, c’est que pour lui, tout s’apprend et se comprend par le récit. « La vie, écrit Pennac, dans le post-scriptum de La petite marchande de prose, n’est pas un roman (…) mais il n’y a que le romanesque pour la rendre vivable ».

II- Pour une pédagogie « d’amour » :

Dans tous ses romans, entre autres La petite marchande de prose, Pennac associe explicitement l’acte de lecture à l’acte d’amour. Lire, c’est en quelque sorte faire l’amour avec les livres. C’est jouir en incorporant, mentalement, le texte. Evoquant la relation amoureuse entre Louna et Laurent, Malaussène affirme qu’ils ont passé « une année d’amour à plein temps. D’amour et de lecture »[17] et le narrateur d’ajouter un peu plus loin : « (…) (Et entre leurs voyages interstellaires, ils se faisaient la lecture, parfois même pendant comme quoi ce n’est pas incompatible.) Dites voir, mesdames, lequel de vos époux a sacrifié un grand concours, une pleine année d’études, un an de manque à gagner, comme ça, pour l’Amour et pour le Roman, hein ? Lequel ? »[18] (p. 124. C’est lui qui souligne).   

C’est aussi l’amour des livres qui alimente et renforce la relation d’amitié entre Malaussène et son collègue Loussa :

 

A quoi tenait-elle cette rigolade intime entre Loussa et Malaussène ? dit le narrateur, à leur amour commun des livres, peut-être un amour particulier, un amour à eux, un amour de voyous. Ils n’avaient jamais pensé qu’un bouquin pût améliorer une canaille. Et de voir que les livres confirmaient les autres dans l’illusion de leur humanité, cela les amusait beaucoup. Mais ils aimaient les livres. Ils aiment à travailler pour cette illusion[19].

 

Améliorer la canaille, en la contaminant du « bovarysme », « maladie textuellement transmissible »[20], constitue aussi, aux yeux de Pennac, le principal enjeu pédagogique auquel tout professeur consciencieux doit consacrer son temps et ses efforts. Pour établir une véritable communication avec ses élèves, l’enseignant doit essayer tout d’abord de leur faire découvrir qu’outre la société de consommation, il y a un autre monde (livresque) où tout fonctionne autrement, un monde où l’on peut vivre par delà le bien et le mal, par delà l’espace et le temps, un monde qui permet à chacun tout simplement de rêver. Mais comment ?

Tout bonnement en leur lisant des passages à haute voix ou même en leur offrant des bouquins :

 

Si, à l'intérieur du système scolaire, dit Pennac, les profs diffusaient ce qu'ils aiment ou ont aimé à l'âge des gosses de leur classe, ce serait déjà un progrès. Ils pourraient le faire dans les interstices : cinq minutes à la fin du cours. Par exemple, je viens de lire Les belles choses que porte le ciel de Dinaw Mengestu (Albin Michel). Un roman ma-gni-fi-que! Je peux en lire deux pages, raconter l'argument et lancer: « Qui le veut ? Le premier qui lève le doigt l'aura.» Ça détend l'atmosphère et ça prédispose les élèves à l'analyse littéraire proprement dite[21].

 

Il s’agit somme toute d’appliquer en classe une pédagogie d’amour. Le mot amour ne signifie ici rien d’autre que « l’aptitude [du professeur] à comprendre chaque cas particulier, à ressentir ce qui fait les doutes de cet élève, les humeurs de cet autre, et cela relève de qualités personnelles »[22].

La phrase révèle que, pour Pennac, l’enseignement est avant tout l’affaire des éducateurs, car ils sont les mieux placés pour redonner aux apprenants le goût de la lecture. En matière d’enseignement, « il n’ y a [donc] pas de pédagogies, y a que des pédagogues »[23]. « Quels pédagogues nous étions, quand nous n’avions pas le souci de la pédagogie »[24] dit aussi Pennac dans Comme un roman.

L’amour en pédagogie relève donc de ce qui est purement humain, c’est une prédisposition à écouter les autres, à les aider et les soutenir. C’est ce qui pousse progressivement les élèves les plus taciturnes à réagir, à parler, à participer.

L’amour en pédagogie doit se comprendre également dans le sens d’invitation ; invitation à jouir en faisant l’amour avec les livres. Signalons ici qu’à l’instar du verbe « lire », « dormir » ou « rêver », le verbe « enseigner » ne supporte pas l’impératif. Il ne se réalise en effet qu’à travers la volonté libre de l’apprenant : pas d’ordre ou de commandements donc. Pas de précipitation non plus, car toute pédagogie à courte échéance ne peut être que nuisible à l’apprenant :

 

 L'apprentissage du texte, dit admirablement l’inventeur de Malaussène, ne peut être reçu par l'élève que si vous le faites passer dans un présent d'incarnation, avec une injonction d'éternité : Ce texte que je t'apprends, je ne te l'apprends pas pour que tu me le récites la semaine prochaine, mais pour la vie ! Le minimum, c'est que je l'apprenne, moi aussi[25].

 

La culture scolaire est, pour emprunter la définition d’Edouard Herriot, « ce qui reste quand on a tout oublié ». Lorsque l’élève se convainc qu’ « une lecture bien menée sauve de tout, y compris de soi même. Et [que] par-dessus tout, nous lisons contre la mort »[26], nous pouvons réellement parler de pédagogie réussie.

Pennac a aussi son mot à dire à propos de l’enseignement des langues étrangères. Dans Kamo, L’agence Babel par exemple, l’intrigue est centrée essentiellement sur l’apprentissage de l’anglais. La première vérité importante est qu’« on n’apprend bien une langue étrangère que si on a quelque chose à y dire »[27].

 Avoir quelque chose à dire dans une langue étrangère ne signifie pas seulement avoir une bonne maîtrise de cette langue mais aussi et surtout avoir les compétences nécessaires pour la transmettre aux apprenants. Autrement dit, on n’apprend bien une langue étrangère que si l’on connaît très bien les difficultés qu’elle peut poser aux élèves. Dans le texte précité, Kamo, parce qu’il n’arrive pas à comprendre l’anglais et parce qu’il obtient toujours de mauvaises notes dans cette matière, considère que l’anglais « n’est pas une langue : dans chaque phrase on bouffe la moitié des mots, dans chaque mot les trois quarts des syllabes, et dans chaque  syllabe les quatre cinquièmes des lettres. Reste toujours de quoi cracher un télégramme »[28].

En nous rapportant dans un style simple et enfantin, le jugement ou plutôt le préjugé que porte un mauvais élève sur l’une des langues étrangères, Pennac s’érige en défenseur et en porte-parole de tous les mauvais élèves, ceux qui ne comprennent rien et qui ne veulent par conséquent rien apprendre et rien comprendre : « un de ces points communs [entre les cancres], affirme Pennac, est l'inhibition. Ce handicap  qui fait que, dès le départ et  quels  que soient l'âge, le niveau social et culturel, le gosse se persuade qu’il ne comprendra pas »[29].

Par ce procédé narratif, l’auteur attire aussi notre attention sur le fait que toute pédagogie doit se définir du point de vue de l’élève, en l’occurrence le cancre. C’est dans ce sens qu’on doit interpréter l’inversion des rôles et des statuts dans Kamo et moi et Messieurs les enfants.

Lorsque le professeur réussit à voir le monde à travers les yeux de ses élèves tous les problèmes seront progressivement résolus.

Pour ce qui est de l’évaluation, Pennac considère que les devoirs et les notes doivent servir non pas « pour marquer des niveaux, mais pour entretenir la mécanique »[30]. Autrement dit, l’évaluation doit être perçue comme un moyen et non pas une fin en soi.

On voit ainsi que la pédagogie que développe Pennac dans tous ses textes est une pédagogie foncièrement humaniste, une pédagogie qui donne la primauté non pas à la méthode mais à l’amour, le principal remède efficace qui permettra réellement aux élèves de « voler comme des oiseaux fous »[31].

Moez Lahmédi,

Université de Sfax.

moez.lahmedi@voila.fr

 

 


[1] Voir à ce propos l’ouvrage de Dominique Quessada La société de consommation de soi, Éditeur Verticales, 1999.

[2] N° 426, décembre, 2003, p. 99.

[3] Ibid, p. 102.

[4] Op. Cit, p. 100. 

[5] Ibid.

[6] Armel Aliette, « Daniel Pennac. Au bonheur des enfants », in Magazine littéraire, n° 357, Octobre 1997, p. 100.

[7] La petite marchande de prose, « Folio », Gallimard, 1989, p. 111.

[8] Ibid. C’est nous qui soulignons.

[9] « NRF », Gallimard, 1995, p. 58. C’est lui qui souligne.

[10] Entretien  avec Daniel Pennac (par François Busnel) in Lire, octobre 2007, p. 89.

[11] Cioran, Aveux et anathèmes, coll « Arcades », Gallimard, Paris, 1989, p. 115.

[12] Entretien avec Daniel Pennac, (par Marianne Payot), in Lire, mai 1995, p. 33.

[13]  La lecture comme jeu, coll « Critique », Editions de minuit, 1986, pp.112-113. C’est lui qui souligne.

[14] Ibid, p. 112 : « Le joué, le lu seraient du côté de l’abandon, des pulsions plus ou moins sublimés, des identifications de la re-connaissance et du principe du plaisir » ou encore p. 214 : « Le lu s’abandonne aux émotions modulées suscités dans le Ca ».

[15] Ibid, p. 214 : « Le lectant, qui tient sans doute à la fois de l’Idéal du Moi et du Surmoi, fait entrer dans le jeu par plaisir la secondarité, attention, réflexion, mise en œuvre critique d’un savoir, etc ».

[16] In Les grands entretiens de Lire, Lire 2000, p. 950.

[17] La petite marchande de prose, op. cit, p. 103.

[18] Ibid, p. 124. C’est lui qui souligne.

[19] Ibid, pp. 224-225. C’est nous qui soulignons.

[20] Comme un roman, « NRF », Gallimard, Paris, 1992, p. 145.

[21] Entretien  avec Daniel Pennac (par François Busnel) in Lire, octobre 2007, p. 89.

[22] Ibid.

[23] Au bonheur des ogres, « NRF », Gallimard, 1985, p. 180.

[24] Op. cit, p. 21.

[25] Entretien  avec Daniel Pennac (par François Busnel), op.cit, p. 89.

[26] Comme un roman, op. cit, p. 82.

[27] « Folio Junior », Gallimard Jeunesse, p. 19.

[28] Ibid, p. 16.

[29] Entretien  avec Daniel Pennac (par François Busnel), op. cit, p. 90.

[30] Ibid, p. 91.

[31] Chagrin d’école, op.cit, p. 305.

 

 

Bibliographie

I-  Romans et essais de Daniel Pennac :

1. Romans : 

- Au bonheur des ogres, « Folio », Gallimard, 1985.

- La petite marchande de prose, « Folio », Gallimard, 1989.

- Monsieur Malaussène, « NRF », Gallimard, 1995.

- Messieurs les enfants, « NRF », Gallimard, 1997.

1. Romans pour enfants : 

L’œil du loup, « Pocket Junior », Nathan, Paris, 1984.

Le grand Rex, Editions Centurion-Jeunesse, Paris, 1986.

L’évasion de Kamo, Editions Gallimard Jeunesse, Paris, 1992.

Kamo, L’idée du siècle, Editions Gallimard Jeunesse, Paris, 1993.

 

Kamo, L’agence Babel, « Folio junior », Gallimard Jeunesse, Paris, 1997. 

Kamo et moi, « Folio junior », Gallimard Jeunesse, Paris, 1997.

3. Essais :

- Le service militaire, au service de qui ? Seuil, Paris, 1973.

Comme un roman, « NRF », Gallimard, Paris, 1992.

Chagrin d’école, « NRF », Gallimard, 2007.

II-  Entretiens :

- Les grands entretiens de Lire, Édition Lire, 2000.

- « Eco-Pennac, un face à face passionné », (par Bernard Fauconnier) Magazine littéraire, n° 426, décembre, 2003.

« J’étais un cancre gai ce qui m’a sauvé » (par François Busnel) in Lire, octobre 2007.

  

II-  Articles sur l’œuvre de Pennac :

- Armel, Arliette, « Daniel Pennac. Au bonheur des enfants », in Magazine littéraire, (357), Septembre 1997, p. 96-103.

 

 

 

Partager cet article
Repost0

commentaires